Ceux du lac / Corinne Royer

Une famille tsigane, composée d’un père, de 6 enfants et d’un chien, est forcée de quitter sa cabane située au bord d’un lac en Roumanie. Ce lac va être réaménagé pour en faire une réserve naturelle et une zone touristique. Fini la pêche, fini les poules et le cochon. Leur mode de vie change radicalement. Ils se retrouvent enfermés dans un immeuble où les plus jeunes ont le vertige. La nature pourvoyait à tous leurs besoins. Désormais ils dépendent d’aides sociales.

Ce déracinement familial est émouvant. La solitude du père est palpable dans l’absence de la mère. Chacun poursuit ses rêves et cherche sa liberté malgré les contradictions.

Cette fiction est inspirée d’une histoire vraie, hautement romanesque. Elle alterne entre roman et poésies. Quelques secrets apportent un autre regard sur la situation.

Une lecture qui m’a plu et que je vous recommande si vous aimez les histoires rocambolesques avec des personnages hauts en couleur. L’écriture est magnifique. La nature est un personnage à part entière et le cœur de ce roman dans lequel l’autrice pose des questions essentielles sur notre rapport à celle-ci.

Ce livre fait partie de la sélection du Prix du Roman D’Écologie 2025. Rendez-vous en avril pour suivre les délibérations du jury dont je fais partie cette année dans le cadre de Strasbourg capitale mondiale du livre – UNESCO.

[Edit du 16/04/25] Corinne Royer a remporté le Prix du Roman d’Écologie 2025 !

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« De loin, on aurait pu croire que c’était un chien. Une masse sombre. Une tête émergeant au ras de l’eau, mais pas une tête entière, seulement un crâne, ou plus exactement l’arrière d’un crâne couvert d’une toison noire flottait sur un large cercle tronqué par les courants et elle paraissait démesurée par rapport à la taille du crâne.
Un chien donc. Voilà tout ce qu’on voyait. »

« On sait d’expérience ancienne que la guerre froide entre les hommes et les femmes peut se révéler tout aussi longue et tenace qu’entre les nations. Elle est parfois plus sournoise que le feu nourri du conflit et il faut alors beaucoup de temps et de pardon avant que les murs érigés par les vieilles rancœurs, ne tombent aux pieds d’une réconciliation trop longtemps repoussée. »

« Il n’y a peut-être plus de place
pour nous en ce monde, mais
n’oublie pas, Naya, nous sommes
les enfants du lac.
Et le lac n’a pas de pays.
Il est né des eaux qui viennent
de plus loin que les frontières
des hommes, et qui iront plus loin
que les frontières des hommes.
Il est né de toutes les sources
qui jaillissent du sol, charriant
une histoire plus vieille que le récit
tronqué des nations, plus vieille
que la mémoire viciée
des morts et des vivants.
Dans ses eaux, tu verras, un jour
se noiera le venin.
Alors, nous serons les enfants
d’un monde nouveau.

Un monde sans nations et la joie
coulera enfin dans nos veines.
Toujours, partout.
Sur les langues.
Sur toutes les langues. »

« Le père avait bel et bien perdu la tête.
Plus rien de ce qui avait forgé ses opinions n’était aujourd’hui en adéquation avec ses actes. Il vivait désormais dans la résignation d’une domesticité qui le rendait dépendant des allocations que Daniela Ponor et les services sociaux voulaient bien lui accorder. Il avait besoin d’électricité et de gaz, puisqu’il ne pouvait plus faire de feu. Il avait besoin d’eau courante, puisqu’il ne pouvait plus accéder au lac et à la rivière. Il avait besoin d’acheter de la nourriture, puisqu’il ne pouvait plus élever de poules et de cochons. Mais le soutien financier, dont il était devenu tributaire pour assumer ces nécessités, le rendait surtout redevable d’une dette sociale l’inclinant à adopter des codes qui n’étaient pas les siens, jusqu’à élever ses enfants d’une manière contraire à ses convictions les plus fermes. Il tentait de maquiller, sous des ricanements stupides, la peine induite par ce douloureux effort de conciliation, mais nul n’était dupe du désastreux constat : il était un homme qu’on avait réduit à empailler son passé. »

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