On suit Victoire, de ses 25 à ses 30 ans. Où se voit-elle dans 5 ans ? Elle ne le sait pas, ni qui elle est. Elle sait qu’elle n’a pas d’ambition et que Berlin est une ville qui lui correspond bien. Au début du roman, elle vit à Berlin, va de fête en fête, se drogue, boit de l’alcool. Elle explique l’effet des drogues qu’elle prend et comment elle les associent pour être toujours dans un « parfait », les codes du milieu. Puis elle rentre en France, elle a un job à Paris qu’elle n’aime pas. Sa vie est rythmée par les week-end où elle retrouve enfin ses amis pour des fêtes à base de drogues et d’alcool. Avec les années et certains événements, elle va revoir son mode de vie et se demander ce qu’est être adulte.
J’ai aimé suivre Victoire dans ses réflexions, dans sa vie chaotique, découvrir l’univers des drogues et des fêtes interminables, les boîtes de nuit. Ce n’est certes pas un roman très joyeux, mais le reflet de la vie d’une jeune femme qui se cherche. L’autrice excelle à montrer ce passage de la jeunesse à l’âge adulte de Victoire, avec ses doutes, ses illusions et ses décalages avec ses amis. Un premier roman addictif et original, encore une belle pépite littéraire découverte par Les Avrils. Avec ce talent, j’espère déjà un second roman et j’ai hâte de découvrir quel en sera le sujet.
Je remercie Netgalley et Les Avrils pour cette lecture addictive
« 25 ans
« I’ll give you an advice. In Berlin, don’t go too fast, too deep. »
Il vient à peine de prononcer ces mots que déjà le type se met à rouler sévère des yeux, avant de s’affaisser dans un fauteuil en s’exclamant : « Fuck, it feels fucking good. » Ce n’est pas le premier conseil avisé que Victoire reçoit du monde de la nuit, entre un rail de kétamine et une extra avalée avec une gorgée de Moscow Mule. Victoire tapote la joue du type qui bave de plaisir et ne réagit pas. C’est ce qu’on appelle faire un hole, un trou. »
« On rentre à plusieurs dans les cabines, garçons et filles, pour se faire des traits de coke ou de kétamine ensemble. On pourrait prendre de la drogue au milieu du dancefloor, mais ça ne se fait pas trop, même dans une fête où tout le monde se drogue. Ce n’est pas parce qu’on chie tous qu’on doit le faire au milieu de la pièce, non ?
[…]
Le savoir-vivre dans la défonce, c’est ce qui fait qu’on n’est pas complètement dedans, qu’on n’est pas lâché dans la misère comme les crackheads qui fument en pleine rue et vous proposent de vous sucer la bite pour 5 euros. « On a des manières, nous ». Donc, les toilettes, c’est bien. »
« Tout le monde a ses raisons de venir à Berlin. Tel un ami sincère, Berlin ne juge personne. »
« Et puis ça y est. La musique s’arrête. Les lumières se rallument. Il est 9 heures. A chaque fois, on se dit « déjà ». Le jour est une trahison à laquelle on ne s’attend jamais. On a dansé pendant 10, 15, 20 heures, et maintenant le monde va redevenir vaste et vide. On ne veut pas songer à la morne continuité du temps après ce passage au travers du feu et du magma. »
« Berlin. Ce que Victoire apprécie ici, c’est que la plupart des gens ne semblent pas être là dans l’idée d’accomplir un destin particulier. Ils sont simplement là. Ils font du vélo, se promènent dans les parcs, chinent dans les brocantes, vont en soirée, sortent dans des bars, mangent une glace le long des canaux, boivent des bières à Tempelhof ou karaokètent à Mauerpark. Ils profitent de la vie et de l’oisiveté que leur offre cette ville si peu chère, si accessible, où un petit job à mi-temps suffit à combler tous les plaisirs de la jeunesse alternative, le cinéma, les expos, les bouquins, les sorties, la défonce. Victoire aime Berlin parce qu’elle ne l’oblige pas à se projeter dans l’avenir, parce qu’elle y trouve sa place mieux que partout ailleurs. »
« Berlin s’accorde parfaitement à ceux dont le kiff est de se laisser aller dans la vie. »
« Victoire aime Berlin parce qu’elle en attend peu, aussi peu que Berlin attend d’elle. Elle aime ce deal de relation non contraignante qui satisfait sans jamais faire souffrir. L’amour parfait en somme. »
« Et pourtant, quelque chose la retient. Quelque chose en elle s’oppose fermement, sans concession à ce qu’elle mène cette existence parfaite et douce. »
« Mais ce n’est pas le moment d’y penser. Elle a 25 ans, elle a tout son temps. Elle n’en est qu’à la première saison de sa vie, la saison où tout est encore permis. Pour l’heure, il saut profiter. Profiter sans cesse de tous les instants de la jeunesse. »
« N’empêche, aujourd’hui, elle n’est plus dupe. Elle a compris que la « vie d’adulte » n’est rien d’autre qu’un leurre, un outil de marketing destiné à vendre à quelques pré-trentenaires en crise existentielle des voitures en leasing, des aspirateurs Dyson, des abonnements à des salles de sport et des assurances habitation. Or Victoire est sûre de ne jamais acheter ni Dyson ni abonnement de piscine ou autre connerie du genre. Si c’est ça, être adulte, elle se promet de ne jamais l’être. »
« Lundi. C’est toujours un moment difficile. Lundi-fatigue. Lundi-descente. Lundi-vraie-vie. Le lundi est un sas entre le week-end et la semaine. Le contraste est vertigineux. Week-end-antidote, lundi-poison. Le week-end est puissant et coloré, le lundi pue la grisaille. Le week-end, c’est l’aventure, savoir quand ça commence, mais pas quand ça finit. Le lundi, c’est rentrer sagement à l’abreuvoir. Le week-end, elle est elle-même. Le lundi, il lui faut renfiler son costume de scène dont les coutures craquent et qui ne lui va plus. »
« C’est la seule au bureau qui vouvoie Victoire et que Victoire vouvoie. Victoire y voit un moyen de ne pas s’attacher, comme des animaux de ferme auxquels on ne donne pas de prénom parce qu’on va finir par les manger. En travail comme en amour, on appelle ça « mettre des limites » et Margaux y tient beaucoup. »
« Mais ce que les gens pensent d’elle, Victoire s’en fout royalement, et puis en l’occurrence, ils ont raison. Dans la vie, Victoire ne veut rien, rien d’autre que d’attendre le week-end. »
« Elle admire les gens qui décident de leur propre agenda, vivent dans des squats, se contentent de petits boulots et se sont affranchis du regard de la société. »
« La vérité, c’est que la drogue ne l’a plus jamais vraiment quittée. 10 ans qu’elles cohabitent, par intermittence, comme une relation un peu compliquée, comme un ex à qui on dit sans y croire que tout est terminé et qui revient, séduisant, ripoliné, flatteur, promettant tout. »
« Elle n’aime pas regarder à l’intérieur d’elle, avec l’impression de farfouiller dans une motte de terre humide et sombre. Elle a peur de cette obscurité et de découvrir quelque chose de pire encore que le silence. Et puis de toute façon, chercher une raison n’a aucun sens. On ne se drogue pas à cause de quelque chose. On se drogue pour être quelqu’un d’autre. »
« Quand quelqu’un ne demande pas d’aide, c’est qu’il n’en veut pas et ça ne sert à rien de lui en proposer. »
« Elle est peut-être adulte, mais eux le sont aussi. Et être adulte doit signifier quelque chose. Dans certains pays, être adulte signifie faire la guerre, être marié de force, faire des enfants avec quelqu’un qu’on n’aime pas, et eux sont libres, oui, mais doivent-ils pour autant s’affranchir de toute décence vis-à-vis d’eux-mêmes ? Une soirée, c’est aguichant certes, mais ça l’est comme un bel objet dans une vitrine ou sur un site d’achat en ligne, comme tous ces articles qu’on sauvegarde dans une wishlist ou un panier virtuel et dont on sait qu’ils ne nous rendront ni plus conscients ni plus heureux, on le sait parce qu’on a déjà fait l’expérience d’acheter tout ce que contenait le panier et que rien, strictement rien, n’a changé. »
« Les drogues aussi doivent avoir des dates de péremptions, comme les aliments, les relations et les gens. »

Un avis sur « La saison des bêtises / Mathilde Henzelin »