Histoire de la femme sauvage / Isabelle Desesquelles

J’ai lu plusieurs romans de cette autrice que j’ai beaucoup aimés. J’ai donc plongé avec plaisir dans cette masse critique privilégiée proposée par Babelio. J’avoue avoir eu du mal à entrer dans l’histoire au début, plutôt hachée, avec une écriture sèche et compliquée. Avec un peu de concentration pour comprendre la structure, j’ai passé le cap et je suis entrée dans l’histoire en voulant connaître la suite et fin de ce roman autobiographique passionnant et riche en émotions.

Il alterne passé et présent avec quatre générations de femmes un peu rebelles, au caractère bien trempé. Entre Kabylie et France, on découvre l’histoire familiale de GrandMa, Léa, Mathilde qui s’est renommée Made et Laure.

Le roman est centré sur l’enfance de Made en Algérie en 1954. Ses parents, pieds-noirs, ont une ferme d’oliviers. Elle a 13 ans, écrit dans son cahierlivre, sorte de journal intime. Elle vit une amitié fusionnelle avec Nour, sa presque sœur. Elles ont grandi ensemble mais n’ont pas la même condition sociale puisque les parents de Nour travaillent pour ceux de Made. Léa, la mère de Made, veut que ses enfants fassent des études, que ses filles puissent choisir leur vie, ne pas dépendre d’un homme. La Grand-mère possède un Leica et photographie son entourage. Et puis il y a un oncle revenu blessé de la guerre. L’Histoire en arrière-plan est présente, la colonisation et les prémices de la guerre d’Algérie, mais l’essentiel n’est pas là.

Laure, bien des années plus tard en France, essaye de comprendre qui était sa mère, Made, décédée trop tôt. Il y a deux sujets à éviter dans sa famille maternelle, Made et l’Algérie. Après leur exil en 1961 en France, il n’a plus jamais été question de leur passé. Laure a besoin de connaître son histoire familiale, ses racines. Elle décide de faire le chemin inverse et part en Algérie avec quelques bribes d’informations qu’elle a réussi à extorquer à sa grand-mère.

Vous l’aurez compris les secrets enferment cette famille et étouffent Laure. On pressent un drame sur cette terre algérienne mais il ne sera dévoilé que vers la fin du roman.

Je remercie Babelio et JC Lattès pour cette lecture

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Les souvenirs ont besoin de nous pour les raconter.
Qu’on les cache et ils rusent, continuent leur vie plus longue que la nôtre.
Ils ne sont pas les cendres, ils sont l’étincelle.
Et plein d’imagination. »

« Pourquoi j’erre dans le temps, attrapant un oubli, étirant le passé sans le lisser ?
Pourquoi pourquoi on hériterait d’une mémoire trop courte enroulée comme une boucle ?
On tire dessus, on a les épaules pour. »

« été 1954
Il fait chaud, tous sont rentrés se mettre au frais comme on met des provisions au réfrigérateur. Made attrape les phrases tel un filet attrapant les poissons et les papillons, elle s’amuse des mots dits, les a sur le bout de la langue, les fait rebondir d’une joue à l’autre, les retient. Ils la propulsent hors du périmètre établi par les adultes, la limite à ne pas franchir, cette loi, la famille.
Pour elle, en sortir c’est s’en sortir.
A treize ans, difficile de se le formuler aussi précisément, cela viendra plus tard, mais elle a compris l’essentiel, faire prendre l’air à son imagination lui est salutaire. »

« Sa petite-fille pense à Nour, au malheur que ce serait de la perdre, et pour se délester de cette menace, Made l’a écrit dans son cahierlivre où une enfant note tout qui ferait une histoire et elle existe. Même quand tout est fini, quand on est fini nous, on n’ira pas tout à fait dans l’oubli si quelqu’un la lit. Même après des années, après plusieurs vies.
Hier elle a copié une phrase entière en lettres capitales, on aurait dit qu’elle prenait toute la place. Une phrase de Grand Ma, en la prononçant elle n’avait plus son visage de maintenant ni son visage de jeune fille, elle avait le visage des mots.
Lorsqu’un autre devient pour nous unique et qu’on veut le garder, on se garde soi. Mais peut-être le sais-tu déjà, petite fille. »

« On attend de Laure qu’elle se contente du présent, laisse le passé où il est, comme s’il ne la concernait pas. Combien d’années encore avant de situer précisément ce coin de terre où sa mère a grandi ? On les a mises elle et l’Algérie dans le même sac, on n’en parle pas. Mais quel vacarme dans la tête de sa fille. Elle ne gâchera pas le réveillon, gardera ses questions. »

« Sa main ne note pas assez vite, Made après n’a plus de jambes, elle ira au bout du cahierlivre, pense déjà au suivant plein de Pourquoi pourquoi, à la liberté d’y répondre, elle écrira le cousin Philippe, qu’il soit encore entier quelque part, découvre qu’elle peut agrandir sa vie d’enfant. »

« Est-ce qu’il se rompt, l’exil ? Il la constitue, s’est déposé en Laure et remonte tel un limon.
Exil intérieur.
Sur El Djazaïr II, elle fait le trajet dans le sens inverse des siens en 1961. Que s’est-il passé en Kabylie pour qu’ils en partent tous, que pas un n’en parle de ce qui est arrivé ? Et un horizon bouge, il l’entraîne à faire le voyage, rompre l’opacité, ne pas en être exclue, de leur passé. »

« Une chape de silence, fondations d’une famille qui s’est construite dessus, on arrive bien à bâtir sur un vide. »

« Made rejoint Luc en cachette, le regarde écrire, avoir le droit de croire que c’est une vie possible, elle ne le distrait pas, aussi concentrée que lui à trouvé ce qu’ont de foudroyant les mots. Ça ne la quitte pas, les dérouler, se livrer à eux, ne pouvoir faire autrement, être une clé pour ouvrir la serrure d’un monde enfoui en nous, et sans limite.
Elle en a trouvé l’entrée, la mer sera son premier poème. Elle l’offrira à Nour, ne sait pas encore qu’elle pourrait lui dédier. »

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