Mélusine Reloaded / Laure Gauthier

Voici une réécriture originale du mythe de la fée Mélusine qui décide de revenir par amour et d’insuffler des idées pour une vie meilleure en devenant maire.

Nous sommes dans un futur où tout est centré sur une partie de la population, riche, car la planète est polluée et ses ressources épuisées. Il n’y a que les Touristes Traversants (TT) qui peuvent voyager et se divertir. Leur principale activité est de se prendre en photo (selfie) et de produire des autoarchives. Tout est standardisé, aseptisé et règlementé dans les villes touristiques par des comités. Il y a notamment des passages sur les librairies, la lecture et les archives qui m’ont interpellée (à lire ci-dessous).

Ce roman est surtout une expérience de lecture avec une langue unique. Il contraste particulièrement avec ce qu’on peut lire dans la production littéraire courante. Il y a certes beaucoup d’abréviations qui demandent un petit effort de concentration, mais un glossaire situé à la fin aide à ne pas se perdre, et les sigles sont souvent développés entre parenthèses. L’autrice propose aussi une réflexion sur l’appauvrissement de la langue.

L’éditeur présente ce texte comme « une fable féministe, entre la dystopie écologique et le conte futuriste. ». J’ai trouvé l’écriture belle et poétique. J’ai aimé suivre Mélusine et Raymondin dans leur vie de couple et leur histoire d’amour.

Si vous aimez les ovnis littéraires ou les lectures qui sortent de l’ordinaire et qui poussent à la réflexion avec humour, n’hésitez pas à vous plonger dans ce court texte de 120 pages.

Ce livre a reçu le Prix du Premier roman français 2024.

Une lecture faite grâce au jury du Prix du Roman d’Écologie auquel je participe et dont le prix sera remis en avril lors des rencontres internationales de l’Écologie pour le livre à Strasbourg, Capitale mondiale du livre UNESCO.

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Dans une rue très fréquentée, une femme entre deux âges observait les passants qui se photographiaient à outrance. Très lente, manifestement sans force, elle semblait transparente. Dans cette rue transparente qu’elle tentait péniblement de traverser, tout le monde se photographiait. Elle observait un couple qui souriait devant la vitrine d’une librairie et l’un des deux, était-ce une femme, semblait aimer le reflet de l’autre dans le miroitement de la vitre. La joie se lisait sur leurs visages, une joie que les habitants de la capitale n’éprouvaient plus depuis longtemps mais qu’ils observaient sur les lèvres des Touristes Traversants (TT). Les librairies étaient très convoitées, c’était un fond de selfie répertorié et particulièrement apprécié. »

« De son vivant, l’oncle de raymondin avait accepté de partager le territoire en zones relevant de droits différents. Raymondin, lui, s’y refusait car il ne comprenait pas comment un pays post-démocratique, héritier de la révolution française de 1789, pouvait tolérer que les citoyens ne relèvent pas tous du même droit. Devenir maire impliquait d’administrer à la fois les Hyper-Centres (HC) traversants de poitiers et d’angers, les Zones Touristiques (ZT) comme lusignan ou la forêt, les zones interurbaines (composées de Faubourgs de catégorie 1, 2, 3) et des Zones Hors Cartographie (ZHC). Parler de ZHC était un euphémisme, ces dernières étant en fait des DSCO [Décharge Solide à Ciel Ouvert] où vivaient une population multi-contaminée, souffrant de séquelles variées, causées par l’exposition permanente au méthane, au plomb et au nickel-cadmium. La seule réaction de l’hyper-mairie avait été de construire un mur pour empêcher les habitants des ZHC de refluer vers les zones interurbaines. Dans un deuxième temps, on avait fait mettre au point un pont aérien pour livrer des vivres aux habitants que l’on appelait les « Sauvages Appareillés (SA) », une formulation ironique qui faisait allusion à leur vie de récupérateurs mal payés évoluant parmi les maxi-congélateurs et les pluri-téléphones défectueux. Ils vivaient sur pilotis et avaient pour mission de recycler les déchets les plus nocifs, mais l’on savait bien que la situation était irrécupérable. Les sols étaient contaminés, tout comme les nappes phréatiques et les aquifères. »

« La population aisée, quand elle ne prenait pas de congé traversant, passait son temps à produire de l’autoarchive. Soit on visitait, soit on s’autoarchivait. C’était aussi un facteur de distinction sociale, comme jadis le droit du citoyen à athènes. Environ 10 % de la population poitevine étaient autorisées à produire des documents archivables. Mais les 90% restant vivaient en imaginant produire des documents au moindre geste, à la moindre émission de voix. Sans cesse, à la façon des citoyens de l’HC [Hyper-Centre], ils œuvraient à une postérité fictive qui leur était refusée. Ils rêvaient d’archives comme jadis on rêvait de liberté. Ils vivaient donc leur vie dans l’anticipation permanente du moment où elle serait digne d’être un musée. La vie était devenue un auto-document permanent. Ces habitants-là n’avaient pour ainsi dire pas d’autre rêve que de passer un jour d’une zone de Faubourg 2 à l’HC et d’avoir ainsi le droit de déposer leurs documents aux APA [Archives Poitevines Augmentées], ce qui leur garantissait le fait de laisser une trace dans le futur incertain et bondé. »

« La fée incitait les habitants à ralentir et à renoncer au trop d’objets qui les ensevelissaient, en pressant soi-même un fruit, en arrachant ses poils ou ne les épilant plus, en prêtant voitures et vélo augmentés, en usant de moins de virtualités. Les habitants s’étaient remplis jusqu’à la fissure, s’étaient roulés dans les cup cake fluorescents, ils avaient contemplé, impuissants, leur chute, les yeux rivés sur les bas-côtés, ils avaient été incapables de freiner, chacun attendant que l’autre fasse ce à quoi personne ne se résignait. Ralentir, réfréner. Ainsi mélusine arriva de biais, avec de petits projets, les prit par la manche et le cœur, et commença elle-même à pratiquer. »

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