Le roman s’ouvre sur une lettre d’un père à son fils adoptif. Marc veut transmettre à Camillo l’histoire de sa famille originaire d’Égypte. Il veut surtout lui parler de son père, Hippolyte, né en Grèce et de son grand-père, des figures paternelles assez absentes. Il est donc question de relation père-fils, de paternité, de famille, de secrets, de transmission. Marc souhaite ne pas transmettre les mêmes gestes, traumatismes, à son fils.
Les personnages sont haut en couleur. Hippolyte brûle la vie par les deux bouts. Grand séducteur, il ne peut être l’homme d’une seule femme. A l’inverse, Marc peut toujours compter sur sa mère, son pilier. Les gestes ont une importance. Vous retrouverez des allusions et des liens tout au long de votre lecture.
Un roman foisonnant, un peu trop à mon goût. L’écriture nous emporte dans un tourbillon d’événements, pas le temps de respirer dans cette fresque. Toute la vie de cette famille se déroule à 100 à l’heure. Un roman agréable à lire mais je préfère incontestablement son précédent, « Le café suspendu », véritable coup de cœur que je vous recommande.
Et vous, l’avez-vous lu ? quel est votre roman préféré d’Amanda Sthers ?
Je remercie Netgalley et Stock pour cette lecture
Incipit :
« Camillo,
J’ai lu ton court dossier au centre d’adoption. Tu ne sais rien de moi ni de ton autre papa, pourtant je te connais par cœur et je t’attends. Quand tu auras grandi, que tu tireras sur les fils du passé pour pouvoir t’accrocher à l’avenir, tu ouvriras ce livret. Tu y trouveras ce que je sais de l’histoire de ton grand-père Hippolyte, quelques lettres qu’il n’a pas postées, pas jetées non plus, comme s’il espérait qu’elles soient lues, des photos, la retranscription d’enregistrements qui datent de mon enfance et certains plus récents que je me suis amusé à faire à son insu avec mon téléphone portable. Je serai heureux de te les faire écouter si, un jour, tu souhaites entendre sa voix.
Quel âge auras-tu quand tu liras ces pages ? A quel moment ressentons-nous le besoin de connaître nos fantômes ?
Tu arrives l’année où j’ai perdu mon père. »
« Il y a évidemment des secrets derrière ses secrets, des moments de mystère, de tristesse et de joie dans l’ombre des silences que certains entendront. Il est possible que mes souvenirs aient leurs fantaisies, mais j’ai fait de mon mieux pour lui rendre justice, pour exprimer ce que mon père m’a raconté comme ce qu’il a tu, les gestes que je vais te transmettre et ceux qu’il n’a pas faits. »
« La main devant son visage
Papa m’a montré la façon qu’avait sa mère de mettre la main devant elle quand il apparaissait, comme pour s’en protéger, même quand il était tout petit. C’est ainsi qu’il parlait d’elle, il ne prononçait pas son prénom, il ne disait pas « nous allons voir mamie », il ne l’appelait pas maman, ni Florentine, il disait « c’est (main devant le visage) qui vient te chercher à l’école ». Sa mère était personnifiée par un simple geste. Il avait fallu des années pour que la famille comprenne que cette main qui la masquait quand on se précipitait vers elle était la conséquence d’une pathologie et non d’un dégoût. Avant que sa maladie ne soit diagnostiquée, on croyait Florentine bête, voire folle. Mon père s’amusait à me faire répéter « prosopagnosie », un mot que j’ai écorché jusqu’à l’adolescence. J’ai pu enfin le prononcer quand j’ai compris sa racine en cours de grec ancien : prosopon signifie « le visage » et agnosis souligne l’ignorance. Ce trouble est une forme d’amnésie visuelle qui rend très difficile l’identification des faciès humains, même le sien. Papa me racontait en riant que ma grand-mère s’excusait en se cognant dans les miroirs contre son propre reflet. »
« Pour parler avec justesse d’un être ou d’un endroit, il faut l’avoir perdu. Mon père a quitté son pays à huit ans. »
« On écrit sans doute plus facilement pour accorder son pardon ou parce qu’on espère une réponse à nos questions. Les mots sont vivants, même quand ceux qui les ont prononcés ne le sont plus. »
« On fait mine de connaître le passé mais les souvenirs sont des légendes revisitées sans cesse tandis que l’avenir est inscrit dans chacun de nos gestes qui l’appellent comme les grands danseurs attirent à eux une chorégraphie qu’ils ont déjà intégrée. »

Un avis sur « Les gestes / Amanda Sthers »