Pour son second livre, l’autrice nous propose un texte hybride. Elle raconte à la fois l’histoire de sa grand-mère ayant fui en 1955 ou 1956 le Vietnam, tout en mêlant des références historiques tel un essai. Elle prend du recul et elle apporte un regard sociologique et critique sur le colonialisme. L’histoire de sa famille est fortement marquée par l’exil. Le thème de l’identité est au cœur du livre. Qu’est-ce qu’être Français ? Elle fait partie de la troisième génération après l’Indochine. Une belle matière à réflexion avec une écriture poétique.
Au final, une lecture en demi-teinte pour ma part. Il y a à mon goût trop de références historiques, trop de variations dans le texte pour que ma lecture soit fluide. Et puis j’ai encore en tête ma lecture du livre de Nathacha Appanah, « La mémoire délavée », qui m’a davantage marqué que celui-ci.
Et vous, avez-vous été touchés par ce récit engagé de la rentrée littéraire d’hiver ?
Je remercie Netgalley et Les Avrils pour cette lecture
Incipit :
Mouvement du bois
Soit un paysage comme un corps. La chaleur qui émane de ses profondeurs, la palette infinie de sa peau, le relief de ses toisons. Il respire l’air bleu par tous ses pores.
Dans la broussaille du souvenir, un drapé de lumière s’avance, calme et résolu. Il trace un chemin clair, réchauffe la terre d’un manteau de particules d’or. Au matin du printemps, une graine germe. Une force primitive qui grandit sous terre et dans le ciel d’un même élan, les maintient ensemble.
« L’État parle pour tous nos corps d’une seule langue, une seule voix, une voix de stentor, et pour raconter notre histoire commune, il enjambe des ornières, alors il a des trous de mémoire. Le corps de l’État avance à grandes enjambées mais c’est un cheval de Troie, toujours prêt à trébucher.
J’exhume un corps, celui du Viêt Nam dans le corps français, disparu avec son histoire, ses contours et ses organes, j’exhume un corps sans mausolée. »
« Est-ce que l’on écrit pour « venger sa race » si l’on ne ressent pas de colère ? Ni de honte géographique sociale, ou même langagière puisque nous parlons le français ? Je n’ai pas de volonté de trahir non plus, et d’ailleurs d’où je viens on ne trahit pas, et surtout pas ses aîné·
es, et encore faudrait-il qu’il y ait quelque chose à trahir or pour l’instant il n’y a qu’un vide. Je ne suis pas transfuge, seulement attirée par les reflets du trou de mémoire que je porte, et convaincue de la capacité de celui-ci à venger d’autres que moi. »
« Finis ton bol surtout ! Sinon tu resteras autant d’années en enfer qu’il y a de grains de riz au fond de ton bol, tu le sais ! »
« La mémoire est une pile de papiers qui bruissent, certains s’envolent, reviennent puis s’installent, oiseaux migrateurs. »
« Qui parle au Ciel en 1944, quand tous les empereurs sont morts, ou envoyés en exil ? Au Tonkin, on meurt de faim. Ma grand-mère et ses quatre aînés survivent, je ne sais par quel miracle. De cette période restent quelques rares photos en noir et blanc. Des morts et des vivants décharnés, tête et cage thoracique gonflé, des adultes et des enfants sous un soleil aveuglant, le regard au fond d’eux-mêmes, affamés car d’autres peuples valaient plus cher, économie de guerre. Les mêmes images, les mêmes corps qu’au Bengale sous domination anglaise un an plus tôt. Pas de chiffres sous Churchill, mais quatre millions de morts estimés aujourd’hui, et huit en tout sous le Raj britannique, soit plus que pendant la Shoah en Europe. On ne dit pas assez qu’Adolf Hitler était un grand admirateur de la colonisation anglaise, et qu’il s’est inspiré des camps de travail là-bas pour élaborer ses camps de la mort en Europe, alors je l’écris ici, puisque l’Indochine est un trait d’union vers l’Inde. »
« Notre histoire s’est délestée de sa gravité avec les années, le rire a évaporé les larmes et c’est seulement ainsi, légère comme un nuage, qu’elle a su traverser le temps. »
« Si la colère, celle née de l’injustice, de l’occupation, des liens rompus, de la violence, celle qui a su engendrer la résistance, a disparu tel un nuage après la pluie, qui êtes-vous ? ai-je parfois envie de demander à ma mère, ma tante, aux Vietnamiens de France. Des surfemmes, des surhommes ? La rage est-elle restée à tourner en rond à l’intérieur de vos corps ? »

Sur un thème un peu similiaire, je te conseille le magnifique Ma grand-mère et le pays de la poésie, de Minh Tran Huy.
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Ah oui je l’ai repéré 🙂
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