Dans ce roman on pourrait presque dire que la maison est le personnage principal, car elle est vivante, tremble, réagit aux situations vécues par ses occupants. Mais les deux narratrices ont bien plus de choses à nous dire. Un récit à deux voix donc, celles d’une grand-mère et de sa petite-fille dans un village espagnol. Une histoire de vengeance aussi, de secrets et de classes sociales.
Petit arrêt sur le titre assez évocateur quand on lit les définitions en 4ème de couverture.
« Carcoma : 1. Vrillette, ver à bois. 2. Préoccupation constante et grave qui vous consume, vous ronge peu à peu. »
Dans cette famille, les femmes se transmettent des secrets de génération en génération mais aussi de la rancœur. Les hommes ne font pas long feu dans cette maison. La grand-mère a une réputation de sorcière qui peut jeter des sorts. Elle a des visions et voit une sainte qui lui raconte le passé et le futur. Sa petite-fille aussi voit la sainte. On découvre par bribes l’histoire familiale. Puis on arrive au présent, à l’affaire qui les occupe désormais : la fille a été accusée et envoyée en prison un temps suite à la disparition d’un enfant qu’elle gardait.
Il y a beaucoup de mystères et de non-dits dans ce roman inspiré de faits réels. Dans une ambiance pesante, j’ai été hypnotisée par cette histoire entre réalisme magique et conte horrifique. La langue m’a également beaucoup plu. Un récit puissant, noir et grinçant qui ne vous laissera pas indifférent.
Je remercie Babelio et le Seuil pour cette masse critique privilégiée de la rentrée littéraire d’hiver.
Incipit :
« Quand j’ai franchi le seuil, la maison s’est jetée sur moi. C’est toujours pareil avec ce tas de briques et de crasse. Il se rue sur tous ceux qui passent la porte et leur tord les boyaux jusqu’à leur couper la respiration. Ma mère disait que cette maison faisait tomber les dents et asséchait les entrailles, mais il y a longtemps qu’elle a pris le large et je n’ai plus aucun souvenir d’elle. »
« Dans cette maison on n’hérite pas de bagues en or ni de draps brodés à ses initiales, non, ici les morts nous laissent des lits et du ressentiment. La rage et un endroit où t’étendre la nuit, voilà tout ce que peut te léguer cette maison. »
« J’ai rangé mes habits dans le dernier tiroir de la commode tout en sachant que c’était débile car le lendemain je devrais les chercher dans le placard de la cuisine, le coffre de l’entrée ou sur les étagères de la remise. C’est toujours pareil, dans cette maison il faut se méfier de tout, en particulier des armoires et des murs. Les commodes sont un peu plus fiables, et encore. »
« Ma petite-fille a menti à la Guardia Civil, au juge et à vous. Moi elle ne peut me berner ni sur ce point car j’ai tout vu, ni sur le reste car je connais la carcoma, ce ver qui ma ronge, ce prurit dans la poitrine, pareil à un cheval sur le point de ruer mais qui n’en fait rien, rien, et qui en fin de compte ne s’emballe pas. »
« Toutes les familles ont leurs morts sous les lits, la seule différence c’est que nous, on voit les nôtres, disait ma mère.
Mais moi je vois beaucoup d’autres choses qui échappaient à ma mère. La sainte m’est apparue quand j’avais six ans. »
« Ma mère était allée récupérer son dû lorsque j’avais vu la sainte. Elle m’avait laissée seule à la maison, à carder la laine, une tâche qui me dégoûtait car enfant déjà je ne supportais pas cette odeur de poil mort, mais ma mère s’en fichait, le dégoût étant une chose que les pauvres ne peuvent pas se permettre, la compassion non plus. »
« Nous autres, les femmes de cette famille, devenions vite des veuves. Nos hommes se consumaient comme des cierges peu de temps après le mariage, il ne restait d’eux qu’une auréole sur un drap, qui ne partait pas, même si nous usions les mains à force de les frotter. Ma mère disait que cette maison les asséchait de l’intérieur jusqu’à ce que mort s’ensuive. »

Un avis sur « Carcoma / Layla Martinez »