Le roman s’ouvre avec la démolition de tours dans la ville d’enfance de Jérôme, les Verrières, située dans le Jura, comme tous les romans de Thomas Flahaut. Il se remémore son enfance et son adolescence aux côtés de Camille, sa demi-sœur, et d’Yvain, leur meilleur ami.
Un seul point de vue est donné, celui de Jérôme, enfermé dans ses silences et sa solitude, plutôt dans l’introspection. Il va peu à peu ouvrir les yeux sur ce qu’ont vécu ses deux plus proches amis, Camille et Yvain. Mais pour cela il faudra des années et des événements dramatiques.
Après la disparition soudaine de Camille et la mort de son père, Jérôme se retire dans les Alpes. Il vit comme un ermite, ne donne plus de nouvelles à personne. Puis, quelques années plus tard, il retrouve Yvain à la Cingle, une zone préservée qu’il occupe avec d’autres militants pour empêcher sa démolition et l’installation de panneaux photovoltaïques. Jérôme les aide à construire des cabanes dans les arbres pour résister davantage, le moment venu, à la charge des policiers.
Une histoire d’amitié, de non-dit, d’amour et de rébellion contre la société. Il est question d’activisme écologique (zadistes) et des effets du réchauffement climatique dans les Alpes. Un texte engagé et militant, plutôt sombre, qui invite à la réflexion.
J’ai aimé retrouver l’écriture de Thomas Flahaut, mais j’avoue avoir une préférence pour son second roman, « Les nuits d’été ». En tout cas ce livre mérite toute notre attention en ces temps troublés. Êtes-vous tentés par le sujet ? ou fuyez-vous les sujets anxiogènes ?
Incipit :
« ça commence quand ça explose.
Avant ça, ce qui entoure Jérôme, les arbres et les gens, les oiseaux comme les tours, tout est en attente. »
« Ce soir, il ravale une tristesse qui lui colle méchamment au palais. Il voudrait parler de ce qui les a conduits, lui et Yvain, à s’ignorer pendant neuf années, de sa solitude, de la mort du docteur, lui dire que depuis que Camille est partie, c’est comme si tout s’érodait. Il voudrait retrouver Yvain où il l’avait laissé, une nuit dans la Calle del Morion, à Venise. Tant de choses. Il faudrait d’abord savoir, avant de les dire, dans quel sens le faire, alors il se tait.
Parler, c’est pardonner un peu. Il pardonnera demain, peut-être. »
« Depuis que Jérôme est arrivé au Val, la température moyenne sur la planète a augmenté d’un demi-degré. Elle est aujourd’hui supérieure d’un degré et demi à celle de l’ère préindustrielle. Ce chiffre était un seuil : celui que les gouvernements réunis à Paris en 2015, pendant que Camille était assignée à résidence, s’étaient engagés à ne pas dépasser. Il est bien dépassé. Il est difficile, pour Jérôme, pour quiconque, d’éprouver concrètement ce qui a disparu. Mais si, le jour où il s’est installé, il avait fermé les yeux pour les rouvrir à cet instant précis, huit ans après, peut-être alors pourrait-il constater combien les fleurs sont rares, combien tout, autour, n’est que gris, combien le glacier est mort, recroquevillé dans un trou comme une hermine dans son terrier. Tout ce qu’il a vu dépérir sans en prendre la mesure exacte. »
« Où aller quand on s’est blotti dans le dernier repli du monde ? »
« Après l’incendie et l’exil de tout le village, on avait décidé d’abandonner les remontées mécaniques à la rouille. Rim était sans ressources désormais. Elle avait grimpé jusqu’à l’alpage de l’Étoile. Personne ne le réclamait : il est devenu le sien. Elle s’est donné pour mission de garder la montagne. Il y a à faire, le réchauffement conduit le gibier à se réfugier plus haut et des groupes montent de l’ancienne vallée industrielle pour braconner les loups du Val qui, venus depuis la Suisse, se sont implantés là bien avant le déclin et profitent de la désertification pour prospérer. Que font-ils de leurs carcasses ? Jérôme l’ignore. Rim ne veut pas le savoir. Elle protège les loups et aujourd’hui, elle a plus que les loups à protéger. Depuis la suppression totale de l’Office national des forêts, la gestion des bois autour d’ici est confiée à des groupes privés, exerçant à la frontière poreuse entre le commerce et le banditisme. Ça fait quelques années qu’on entend au Val des histoires à leur propos. Des coupes à blanc, larges saignées dans le paysage, dans les vallées environnantes, des forêts entièrement détruites par des trafiquants de bois. Est-ce que c’est eux, les responsables de ce désastre que Jérôme a devant les yeux et que Rim a voulu lui montrer ? Cette saignée, cette longue ligne vide au milieu de la forêt d’aroles où travaillent des tractopelles et où filent des quads. »
« Il faut imaginer que le silence est une drogue. A la fois la source des maux de Jérôme et leur antidote. Il le met dans une certaine transe dont il lui est difficile de sortir. Il appelle à encore plus de silence. Dilate le temps. »
« Se souvient-elle de la longue voie de chemin de fer désaffectée qu’ils empruntaient tous le trois pour rentrer aux Verrières.
Elle ne s’en souvient pas.
Même pour Jérôme, c’est difficile. Tout a été détruit. Tout a été écrasé par les résidences construites pour les frontaliers à haut salaire. La forêt a été arrachée. Les rails désaffectés sont devenus coulée verte. La gare abandonnée a été transformée en hôtel. Se souvient-elle de la gare. Elle n’était plus qu’une coque vide devant laquelle des enfants plus vieux qu’eux attendaient tout le jour, brisant des bouteilles de bière pour sauter par-dessus les tessons. »
« Il contemple ses mains : elle a les ongles noirs d’avoir trop creusé dans le pays de sa mémoire. C’est une fourmilière. Et les fourmis sont rouges et guerrières. »
« Bien sûr, il y a en elle la même colère que celle de Jérôme. Une colère face à l’exploitation sans limite des humains et de la nature. Contre ceux qui, durant un demi-siècle, ont vu se succéder les catastrophes, tout en poussant plus loin encore les logiques qui y ont amené. Qui ont méthodiquement maté toutes les Camille et tous les possibles d’un autre futur. »

Un avis sur « Camille s’en va / Thomas Flahaut »