Belette / Mye

Voici un premier roman plein de poésie édité par Le Tripode que j’ai beaucoup aimé. L’autrice a l’habitude d’écrire pour le théâtre et cela se sent.

Elle raconte l’histoire d’une gamine de 13 ans à l’aide de métaphores et d’images. Belette a encore un pied dans l’enfance mais son regard sur le monde est réaliste, Il faut dire que sa famille est dysfonctionnelle. Sa mère est partie. Elle vit avec son père, un homme violent et alcoolique.

Un jour, un événement chamboule sa vie, que je vous laisse découvrir par vous-même. Belette décide de ne pas rentrer chez elle et se réfugie dans un bunker au bord de la plage. C’est comme une question de survie pour elle. Elle raconte aussi les transformations de son corps à l’adolescence avec ses seins qui poussent.

Quelques personnages plutôt marginaux font partie de son quotidien et nous les découvrons à travers ses yeux et ses expressions. Elle a un langage bien à elle. Il y a aussi sa bicyclette rouge qui est un personnage à part entière, Babine.

Ce roman parle de liberté, du pouvoir de la poésie. Je vous conseille de le lire à voix haute. Il peut être un peu exigeant pour certains lecteurs. Mais si vous aimez la poésie des mots et les livres singuliers, celui-ci est fait pour vous !

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Au début de l’histoire, il y a de l’amour. A la fin, aussi. Entre les deux : la terre tremble, un monsieur meurt, et mon vélo avale des kilomètres de cabosse, de gros cailloux au fond de la gorge et de rêves de grands qui font trop de bruit.

Je suis rien.
Rien que Belette.
Et c’est beaucoup.

Je suis de la cabosse et de la dévale. Pour moi, le temps, c’est du compte à rebours. Ça pète au bout, ça explose, ça exulte, ça dissémine, ça ramasse. Puis ça te remet sur le vélo, tout droit, avec tes petites jambes du dimanche, qu’ont déjà pédalé toute la semaine. Et le cœur aussi.
Suis en infarctus depuis la première minute. Rien que du battant à tout rompre au cœur. Beaucoup.
Beaucoup trop. »

« En plus, la plage et moi, on est pareilles. Comme des sœurs. Elle a ses petites dunes, ses petits seins pas tous arrivés sur la ligne, ses platitudes, ses petites morsures et ses cicatrices en bord de marée, ses liquides sombres, ou transparents, ses tempêtes sifflantes… Des fois, ça se retire loin. A coup de grande marée qui recule d’abord, dans le silence et le vide, et puis ça revient glacial pour lécher presque tout le sable jusqu’aux oyats.

Ici, c’est le bout du monde.
Ici, c’est le monde du bout. »

« Je plante mon nez le plus loin possible que je peux, dans les vagues écrasées par le ciel. Et puis, je regarde à m’en faire mal pour faire passer l’eau dans les yeux, asséchés par le vent. »

« Moi et mon cri, on a repoussé le vent, on lui a flanqué une raclée. Et la mer a flanqué une raclée au ciel. Tout s’est calmé. Et il s’est remis à pleuvoir, un peu, comme j’aime bien.

J’ai été voir la mer de plus près. J’ai été la goûter du bout du pied. Elle a l’air un peu fatiguée de la chamaille. Elle s’étire sous les gouttes sans dire grand-chose maintenant. J’y mets jusqu’à la cheville en grattant le sable pour sentir la patauge comme dans les flaques d’automne. Ça me donnerait presque envie d’aller plus loin jusqu’à la taille… Non : elle est quand même bien froide. Et il est trop tôt. Aucune chance que je me réchauffe avant midi et faudrait pas que je me retrouve en fièvre et que j’atterrisse chez les cons. Bon, juste les chevilles alors ! Oui, les chevilles c’est bien.
Et puis écouter le riz qui tombe sur l’eau. Presque tendre…

– Pourquoi tu me parles de riz Belette ! Qu’est-ce que tu me cause ?! Ça a rien à voir. T’es couillonne ! C’est pas une question de riz, c’est une question de grain ! m’a dit Coco un jour que je lui disais être restée sous le riz un bout bon de temps.

Mais moi, quand on me parle de grain, je vois du riz, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ! Coco, elle a p’t’être le vocabulaire qui faut plus que moi, mais elle sait pas faire de l’image à elle. Elle dit juste ce que les autres disent. C’est pas beaucoup. Elle a rien à elle quand elle parle. Elle parle la langue des autres, le courant, des trucs qui camouflent pour que ça contente tout le monde. Du coup, elle a le mot maigrelet, y a rien à bouffer dessus, on reste sur sa faim. Moi, j’ai plein de trucs à moi et je vous le dis, c’est du riz qui tombe et p’t’être bien que ça va pousser après, dans le sable. P’t’être que si je reste là longtemps, je vais voir de la broussaille verte sortir de la mer. »

« Je grimpe sur le dos du bunker bloc, m’assois les jambes écartées en plein milieu, dégage la mèche qui me tombe sur le visage, la coince derrière mon oreille, puis je sors mes coudes pour m’appuyer sur mes genoux. Ensuite, je choisis le croissant qui a l’air le plus tassé et croque dedans. Pas trop tout de suite, juste le bout qui croustille. Bah oui ! C’est dans l’ordre des choses : le bout qui croustille, puis, ensuite, l’autre bout qui croustille, et après, faut tirer au milieu pour décoller un peu, là, à l’endroit où c’est gonflé. Puis je détricote le ruban, moelleux par moelleux, miette par miette. Bien dans l’ordre tout ça. C’est important. Parce que, sinon, ça passe trop vite. »

« Deux jours plus tard, non seulement je savais rouler correct mais en plus, j’avais piqué une bombe au Better pour repeindre ma bicyclette toute seule. C’est là que j’ai vu une petite inscription sous la selle : Sabine. J’ai pas trouvé que c’était terrible comme nom de bicyclette. Alors, j’ai procédé à un petit changement : un B à la place du S. Et voilà, j’avais ma Babine. De quoi bouffer le monde à pleines dents ! »

« Les dingues, j’aime bien. Surtout les vieux. On sait pas pourquoi ils font les choses, mais ils ont l’air tellement convaincus qu’on finit par avoir le doute. P’t’être qu’on comprend rien parce qu’on n’est pas capable. Les dingues, ça vit dans un autre monde. Soi-disant qu’y sont décalés. Des fois j’me dis qu’eux, au moins, ils ont trouvé la bonne porte de sortie et que forcément, toi, si t’as pas le ticket, tu peux pas comprendre ! P’t’être même que des fois y font semblant d’être dingues juste pour qu’on leur foute la paix. C’est vrai, quoi !

La mère Nadette, par exemple. Une dame toute petite qui naviguait avant dans le quartier avec un air un peu perdu et, en même temps, tout sourire et toute douce. Un coup, elle racontait qu’elle attendait que ses parents viennent la chercher parce qu’elle sortait de l’école. Le coup d’après, c’est elle qui cherchait, elle savait pas quoi, mais elle était sûre de l’avoir laissé là. Une fois, je l’ai trouvée près de l’arrêt de bus, avec un vieux sac, coiffée bizarre et maquillée que d’un côté. M’a dit qu’elle allait rejoindre son fiancé à la fête, sauf qu’elle avait foutu deux-trois casseroles dans son sac. Et puis un jour, la Nadette, on l’a plus vue. C’est son mari, qui était aussi grand qu’elle était petite, qui m’a dit qu’elle reviendrait plus.

– C’est l’Alzheimour qui me l’a prise, il m’a dit.
– Je crois qu’on dit « Alzheeiimheurrr » ou un truc dans le genre, monsieur Bardi, je lui ai répondu tristement, vu qu’avec ma Babine on était toutes tristes.
– Ah ma petite, non, moi, ma Nadette, c’est Alzheimour qu’elle avait. J’y ai fait bien attention. Qu’elle ait que l’Alzheimour… »

Un avis sur « Belette / Mye »

Laisser un commentaire