Une femme assiste au sauvetage d’un orignal. Elle a l’air perdue et demande si elle peut rester au refuge avec Arden et Jeff. Petit à petit, elle dévoile sa vie avant d’arriver dans cette forêt du Canada. Des crises d’angoisses surgissent régulièrement. Elle sent une boule de tourbe dans sa gorge. Petit à petit, elle semble se reconstruire auprès d’Arden, la femme aux doigts-araignées, pour qui le désir est omniprésent. Jeff, l’homme à l’œil de verre, lui apprend à s’occuper des animaux. Elle fait des rêves étranges. Des coccinelles peuplent l’intérieur de la maison d’Arden.
Ce roman est très poétique. La nature y est un personnage à part entière. D’ailleurs la rivière Babine est souvent nommée comme s’il s’agissait d’une personne. J’ai trouvé le début très prometteur puis je me suis perdue dans les songes du personnage principal. L’évocation de la nature est magnifique. J’ai beaucoup aimé l’écriture, mais ce n’est pas un livre que je défendrai pour faire partie des 5 finalistes du Prix Orange du Livre 2024.
Ce roman fait partie de la sélection du Prix Orange du Livre 2024.
Incipit :
« Quand le vent reprend son souffle, l’air se fige au-dessus du lac Petit. La glace soliloque sous le ciel blanc, parfois elle grince des dents, se met à rire et sa mâchoire claque. Sa peau blanche gercée de bleu semble forte et prête à recevoir les baisers ardents du printemps. Il y a d’abord une expiration de brume sur les sapins baumiers, puis le froid bondit d’un bout à l’autre du lac à la manière des chevreuils en fuite. Le chant de la glace rencontre le rire de la sittelle. Les trembles nus se tendent la main, si blancs et lourds d’une neige glacée. Dans la forêt, le pas silencieux des biches alertes, le ventre rond d’une mésange sur une branche tordue, une petite martre baille, dents minuscules et poils hérissés par une couverture de neige fondue tombée d’en haut. Le matin pointe le long de la rivière Babine. »
« Jeff sourit, un sourire tordu. Il dit C’est marrant, avec ses r un peu mâchés, when I asked you where you came from, t’as rien su me répondre et là je te demande où tu vas et tu réponds finalement à ma première question. Il me fait signe de continuer. La rivière Babine, elle, ne s’est pas interrompue. »
« Le rire d’Arden part au galop comme un coyote en fuite. »
« Par la fenêtre, je suis la lisière de la forêt, ou plutôt la cicatrice de la forêt, puisque la route est venue la couper en deux. Nous roulons chez une femme qui a dynamité un barrage de castors sur son terrain. La hausse du niveau d’eau, engendrée par la construction de bois et de boue des mammifères, a déséquilibré la vie de cette femme. L’eau, devenue clandestine, a franchi la frontière invisible du domaine humain. La propriétaire a fermé les yeux sur ce que les castors apporteraient de bon à ses terres. Le cours d’eau gonfle oui, le lit s’élargit, et c’est une aubaine pour la biodiversité, m’explique Jeff, mais l’humain s’en fout de ça, ce qu’on veut, c’est que rien ne bouscule l’ordre de nos choses. Il se racle la gorge. Trois petits sont toujours vivants, l’explosion n’a pas atteint la hutte.
Les parents sont en morceaux. J’aimerais lui dire qu’il peut pleurer devant moi, que de toute façon je suis du côté de l’œil qui ne pleure pas, je ne verrai rien. Nous roulons à la rencontre d’une femme qui parle l’explosif. Bombarderions-nous le niveau de la mer, les tempêtes et la chaleur, si nous le pouvions ? Nous ne parlons pas, parce que les mots pour décrire ce que nous ressentons sur cette route sont laids, vulgaires et violents. Il nous faut garder de la douceur et de la force pour une portée orpheline dont le monde s’est effondré.
Arden est déjà là. C’est elle qui parle avec la femme aux explosifs. On n’entend pas ce qu’elles se disent, la femme nous a simplement adressé un mouvement de menton. Jeff n’a pas dit bonjour, j’ai hoché la tête. Arden a déjà récupéré les petits, chacun dans une caisse de transport. Nous les calons à mes pieds dans le camion. Il faut faire vite, les ramener au refuge et les installer ensemble. Limiter le stress. Je demande à Jeff si sans parents les castors sauront instinctivement construire une hutte, se nourrir, préparer l’hiver. Il dit oui. Il dit juste oui. Après tout ce temps passé à chercher les mots jutes, finalement face à la cruauté de l’humain, se taire reste peut-être la meilleure chose à faire. »

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