Ce roman commençait très bien et puis j’ai peiné, trouvé quelques longueurs, je me suis perdue dans les digressions. Je me suis accrochée et j’ai retrouvé la force du début qui m’a emportée jusqu’au bout du livre.
Isabelle Monnin raconte comment lors d’une période de confinement (durant la covid), elle s’est retrouvée à faire des recherches sur sa grand-mère, Odette Froyard.
Elle se remémore des souvenirs d’enfance pleins de tendresse, les expressions de son aïeule, ses manies. Bien qu’elle l’ait côtoyée 22 ans, elle se rend compte qu’elle ne la connaît pas. Alors elle se tourne vers les enfants de sa grand-mère et les interroge. Elle découvre qu’Odette et ses frères et sœurs ont vécu une partie de leur enfance dans un orphelinat franc-maçon à Paris après la mort de leur père. Des documents d’archives et des photos sont insérées dans les pages. Véritable enquête, Isabelle Monnin tente de faire un portrait de cette femme « invisible », au service de tous, active, infatigable et parlant peu.
L’histoire prend peu à peu une autre allure et nous emporte à travers le XXème siècle, jusque dans les camps de concentration. Découpé en 3 parties inégales, le roman raconte l’histoire d’Odette Froyard en trois façons, comme le dit le titre. Le mystère autour de cette femme s’éclaircit et l’autrice nous révèle ses secrets. Ou comment la vie ordinaire d’une femme devient fiction !
Quitte ou double pour ce livre, soit il vous passionne soit il vous perd en cours de route ! J’ai été séduite par la plume et j’ai relevé de nombreuses phrases mais sans la sélection du Prix Orange du Livre 2024, je l’aurais très certainement abandonné. D’une lecture exigeante, il risque de ne pas toucher tous les lecteurs malgré ses qualités.
Incipit :
« Elle était morte depuis près de trente ans lorsqu’elle réapparut soudain dans ma vie. Avant cela, elle avait été une défunte tout ce qu’il y a de plus calme, fidèle à la femme que nous avions connue, laissant en paix ceux qu’elle avait quittés au terme d’une vie dont ils disaient volontiers qu’elle avait été sans histoire. »
« Peut-être a-t-on besoin du silence du monde pour voir l’invisible. »
« Je ne le perçus pas immédiatement mais c’est à cet instant qu’Odette Froyard se glissa dans mon esprit. Un battement, de paupière ou de cœur, et elle fut là, c’est ainsi qu’opèrent les idées. D’abord furtives puis insistantes, certaines s’installent jusqu’à l’obsession. »
« Que se passe-t-il lorsqu’il ne se passe rien d’autre que la vie qui passe ?
Existe-t-il des vies qui ne valent rien ? »
« A part un vase d’un marron douteux qui m’échut à sa mort, je n’avais rien gardé de matériel qui lui eût appartenu. Me restaient les souvenirs. Ils étaient là, quelque part dans ma boîte crânienne, rangés sous un mystérieux amas neuronal. Il fallait que j’en trouve le chemin d’accès. »
« Je l’avais connue de ma naissance à sa mort. L’espace-temps de notre relation était bien circonscrit. 1971-1993, vingt-deux ans durant lesquels, avec une régularité de chemin de fer, nous nous retrouvions chaque week-end et lors des congés. »
« Penser à elle faisait monter dans ma poitrine une sensation indéfinissable de tendresse, de réconfort, la certitude d’être aimée dans cet endroit qu’elle constitua pour l’enfant approximative que je fus. »
« Cela me frustrait. Il ne suffisait pas de vouloir se rappeler pour se souvenir. »
« Elle parle peu, et souvent par formules toutes faites, expressions désuètes qui nous enchantent car nous pouvons les reprendre dans nos jeux.
Allô j’écoute
Bonsoir bonne nuit
Pousser mémère dans les orties
Quel toupet
ça sent la cocotte
Cause toujours tu m’intéresses
Oh, ben y a rien à dire
Je souffre des jambes
Motus et bouche cousue
Souffler n’est pas jouer
Allez allez on n’en parle pas »
« J’avais si peu de choses à raconter d’elle, j’étais fâchée contre moi. Dans mes mains vides s’agitaient, telles des anguilles minuscules et gluantes, plus de questions que de souvenirs. »
« Il n’y a de femme invisible que pour eux qui regardent mal. »
« L’idée qu’Odette Froyard (mais n’importe qui d’autre aussi) avait pu passer sa vie dans l’ombre sans laisser d’empreinte me martyrisait. »
« Je notais tout, comme des indices, telle une enquêtrice en imperméable Le moindre détail pouvait mener à la révélation de l’énigme. Rien ne devait être négligé, c’était souvent dans les inaperçus que se cachaient les explications. Je me sentais chargée d’un cold case. Odette Froyard était portée disparue. Elle s’était évaporée bien avant sa mort, diluée dans le long silence qu’elle gardait. Ce n’était pas qu’elle avait été tuée, c’était plutôt qu’elle avait été empêchée d’exister. »
« Certains vacarmes enfantent de longs silences opaques. »
« Chaque famille est un mensonge.
Par pudeur lâcheté aveuglement, on cache les nœuds, on ne dit pas ce qui compte et on ne raconte que la surface des anecdotes, ad libitum pour couvrir les vacarmes enfouis. Chaque famille est un mensonge qui se transmet de vie en vie, de siècle en siècle. Mais dans les doubles fonds des anecdotes se glissent les non-dits.
Parfois la nuit ils nous regardent fixement droit dans les yeux et nos cœurs paniquent.
De quel mensonge étais-je l’héritière et la passeuse ?
Odette Froyard ne disait rien mais j’entendais tout sans le savoir. »
« J’étais un peu sonné : les coïncidences, qu’on trouve quand on les cherche, m’attachaient aux gens et aux dates, c’était comme ça depuis quelques années et hors de toute rationalité. Nous étions toutes deux assises au bord d’un trou vertigineux, à jeter des cailloux en espérant vaguement que l’écho réponde à des questions que nous n’étions pas certaines de savoir formuler. »
« L’histoire était essoufflante. J’étais partie à la recherche d’Odette Froyard et je rencontrais un homme qui avait fait échouer le projet de rendre invisible la mise à mort industrielle de millions de personnes. L’invisibilité et son complice l’aveuglement ne gagneraient pas. »
« Odette est triste mais ne le montre pas. Son frère ne lui manquera pas si elle ne le dit pas, ce que l’on ne dit pas n’existe pas, ça marche pour tout. »

Très beau style et belle construction. Un très bon roman doit-il plaire au plus grand nombre ? Une autrice et un roman qui m’ont fortement impressionnés…
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Je le note appréciant les histoires qui passent ou cassent.
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Je suis ravie qu’il soit dans la sélection. Cela va lui donner une belle mise en lumière ! Merci pour ce retour 😉
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J’avais beaucoup aimé 🌸🌻
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