Dans ce livre, l’autrice s’interroge sur sa famille, notamment ses arrière-arrière-grands-parents partis d’Inde pour travailler dans les champs de canne à sucre de l’Île Maurice. Ses trisaïeuls sont venus remplacer les esclaves. Un ouvrage poétique et foisonnant de questions.
L’incipit s’ouvre par un vol d’étourneaux. Des photos et documents sont insérés entre les pages de ce récit intime. Elle essaie de reconstituer l’arrivée de sa famille sur l’île, leurs conditions de vie. Elle s’appuie sur les souvenirs de ses grands-parents et comble les blancs comme lorsqu’elle écrit des romans.
Les thèmes abordés sont la transmission, l’immigration, l’identité, l’exil, les effets de la colonisation, la condition sociale. Elle évoque notamment la pression de réussite que ses parents ont fait peser sur elle. Ils voulaient échapper à la condition de leurs parents et grands-parents. Ce statut de « dominé » s’est transmis de génération en génération.
Un essai passionnant, magnifiquement écrit et qui me permet de cocher la case « un auteur de l’hémisphère sud » du challenge de l’hiver VLEEL !
Cet ouvrage a reçu le prix de l’essai des Écrivains du Sud 2023.
Incipit :
« Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame-jeanne.
Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat au vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout à bout, ces mots forment une phrase et soudain, cette phrase serait ma première, mon évidence. »
« Quand soudain, d’un arbre sur le quai, ils surgissent et ce surgissement ressemble à une déflagration silencieuse, on pourrait croire que le feuillage a explosé. A quoi ressemble le destin de ceux qui migrent, est-ce que ça explose bruyamment ou ça implose intimement ? »
« Quand revient le temps des étourneaux, mon visage est souvent levé vers le ciel crépuscule dans l’illusion d’y apercevoir avec clarté et sincérité mon propre récit de migration, d’y lire le début, la beauté, l’intention, la forme et le secret. Ce n’est pas la voile d’un bateau, ce sont juste des étourneaux et c’est beau, aussi, juste des étourneaux. »
« Ce n’est pas un début ni le début mais ça commence comme ça :
Il y a trois fiches aux archives de l’immigration indienne à l’institut Mahatma Gandhi, à l’île Maurice. Ce sont celles de mes trisaïeuls et de leur fils, mon arrière-arrière-grand-père. Elles attestent de leur arrivée à Port-Louis, capitale de l’île qui est alors une colonie britannique, le 1er août 1872. Un peu plus d’un siècle avant ma naissance ou à peine un siècle avant ma naissance, je ne sais pas peser le temps qui me sépare d’eux. Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ?
Ils étaient des engagés indiens, des coolies comme on disait, et avaient quitté leur village indien de Rangapalle, dans le district de Visakhapatnam dans l’État de l’Andhra Pradesh. Sur le port de Madras, aujourd’hui Chennai, ils ont embarqué sur un bateau appelé John Allan et leur traversée a duré à peu près sept semaines. »
« Cela me permettrait aussi de croire à un ancêtre dont l’image était différente de celle qu’on nous montrait à l’école : un homme naïf, poussé par la misère, qui soulève rocher après rocher en vain, un homme qui trime, un homme qui pleure, un homme nostalgique de sa terre natale. »
« Mon esprit les a lavés, ces ancêtres, essuyé leurs visages, coiffé leurs cheveux, habillés de vêtements propres, éloignés des cales de bateaux et de la perspective du labeur quotidien des champs de canne. C’est une image presque proprette. C’est une mémoire délavée. »
« Je me demande combien il faut de générations pour qu’une peur disparaisse des mémoires. »
« La roche cari ne me manque pas, j’ai un hachoir électrique qui fait parfaitement l’affaire chez moi mais il a certains choix que je regrette. »
« Voilà un autre effet de la vie des plantations coloniales, de la vie de dominé. On finit par croire que non seulement sa langue maternelle est inférieure, mais que, dans certains domaines, ses dieux ancestraux le sont aussi… »

Un récit infiniment touchant !
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Oui et plein d’amour aussi.
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Aussi !
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