Ce roman autobiographique m’a fait davantage penser à un témoignage. L’écriture est simple. Le livre se lit rapidement. C’est plus l’histoire racontée par Marie de Lattre que le style qui m’a touchée.
Elle raconte son enfance auprès de ce père taiseux, mystérieux. A ses 13 ans, Jacques, son père, lui dévoile l’histoire familiale. Il lui révèle une partie des secrets qui le rongent. De Lattre n’est pas son vrai nom. Pierre et Madeleine de Lattre l’ont adopté. Ses parents biologiques, Frieda et Kogan, sont morts, déportés dans un camp en 1943.
Marie de Lattre raconte les « bizarreries » de son père, qui s’éclairent plus tard, notamment les nombreuses cachettes dans la maison pour y mettre les bijoux et les documents importants qui reflètent la peur de la spoliation.
Elle hérite de lettres dans lesquelles elle découvre que ses parents formaient un tout autre couple. Frieda était amoureuse de Pierre, et Kogan de Madeleine. Ses grands-parents De Lattre ont fait la promesse à Frieda et Kogan de s’occuper de leur fils, Jacques. Elle entame des recherches et fait encore d’autres découvertes. De nombreuses questions surgissent dans l’esprit de Marie de Lattre. Elle les livre au lecteur qui suit son cheminement.
Incipit :
« J’ai trois prénoms, Marie, Madeleine, Frida.
Un qui dissimule. Un qui protège. Un qui révèle. »
« L’histoire de Jacques, mon père, a pris toute la place. Celle de ma mère existait peu. Elle était simple, avec son lot de problèmes familiaux mais assez communs.
Celle de mon père n’était que silence et interdit.
L’injonction à l’écrire que j’ai héritée, je la porte en moi depuis ma naissance par mes deux derniers prénoms.
J’ai eu quatre grands-parents paternels. Frieda, Kogan, Madeleine et Pierre.
Les deux premiers sont morts en déportation. Les quatre se sont aimés.
Cette histoire fut leur secret et celui de mon père. »
« Mais les secrets sont ainsi faits que, lorsqu’on les croit bien protégés, ils se répandent insidieusement sur tous ceux qu’ils touchent.
Celui de mon père le rongeait. Comme il nous abîma, mon frère et moi. Par son silence, et celui qu’il nous imposa, il fit de nous, et dans une certaine mesure de ma mère, ses complices et ses héritiers. »
« Quand, en France, en octobre 1940, débuta le recensement des Juifs, il comprit que tout recommençait. Que par ces nouvelles lois qui leur étaient imposées, l’étau, tôt ou tard, se refermerait sur lui et les siens, les obligeant, au mieux, à fuir. Il était vieux. Il abandonna. Il renonça à sa femme, à ses enfants et à ses rêves de famille réunie jusqu’à la fin de sa vie. Le 10 décembre 1940, il prit une hache et se suicida. Il est enterré au cimetière du Vaudoué dans le minuscule carré juif. Clairvoyant, lui au moins aura eu une tombe. »
« Beaucoup sont morts aujourd’hui. Mais ma mère a couvert les murs de leurs photos pour qu’ils restent avec nous, merveilleux fragments de vie, arrachés à notre mémoire inconstante. »
« Il n’a pas été déporté. Ai-je le droit à la parole ? Ma génération n’est même pas celle des survivants. Mais la suivante. Pourquoi souffrirais-je de la Shoah ? Quelle difficulté aurais-je à vivre avec une histoire si ancienne ? 16 % de la population française ne sait même pas que les camps ont existé. Et moi j’y pense tous les jours. Parfois j’en rêve. Comment exprimer cela, le faire comprendre, même à des proches ? Comment raconter le secret qui a accompagné mon enfance et mon adolescence ? Comment expliquer que parfois ce refus de parole me fait me sentir apatride et sans racines ? Que mon nom est un nom d’emprunt et que si je gratte en dessous il n’y a presque rien ? »
« Aujourd’hui j’en sais davantage que lui sur sa propre histoire. Je suis la mémoire de son enfance. »
