Mathieu Mestokosho, chasseur innu / Serge Bouchard

Vous connaissez ma passion pour les éditions Dépaysage qui ont notamment publié les romans de Michel Jean, des coups de cœur absolus. Je n’ai donc pas hésité une seconde à tenter ma chance auprès de Babelio et j’ai remporté ce livre lors d’une masse critique. Ce n’est pas un roman mais un essai d’un anthropologue sur la vie d’un chasseur innu. Serge Bouchard a recueilli le témoignage et les anecdotes de Mathieu Mestokosho dans les années 1970, il avait alors plus de 80 ans. Il nous parle donc d’une autre époque, où les innus vivaient dans la nature, avec la nature et chassaient pour se nourrir. J’ai trouvé ce livre passionnant. Je crois que je dois avoir un penchant pour les sciences humaines, la sociologie, l’anthropologie. J’aime découvrir comment vivent d’autres cultures. Je ne suis pas du tout portée sur la chasse mais on apprend effectivement les techniques de chasse et de conservation de la viande, le traitement des fourrures. J’ai appris beaucoup de choses sur les animaux chassés : le caribou, le porc-épic, la loutre, le castor, le lièvre, etc.

Il nous explique aussi les déplacements, les saisons, le campement, le rôle de chacun et surtout la solidarité entre innus. Ils partageaient leur nourriture avec ceux qui n’avaient rien ou avaient été malchanceux à la chasse. On parcourt à pied ou en canoë les paysages du Canada.

Le livre débute par un avant-propos très éclairant puis il est divisé en 7 chapitres : les souvenirs de jeunesse, les grandes chasses au caribou, un hiver dans la région de Uinukupau, réflexions sur la présumée paresse des Indiens, la vie quotidienne dans le bois, etc.

Les paroles de Mathieu Mestokosho sont retranscrites d’après les enregistrements sonores, si bien qu’au fur et à mesure, en lisant les sortes d’aventures de ce chasseur innu, on entend presque sa voix. Une voix qui nous parvient comme un miracle, puisqu’il n’y avait pas ou peu d’écrits sur cette époque, celle de « la dernière génération d’innus à avoir passé leur vie entière dans le Nitassinan, confrontés, de campement en campement, du lac Brûlé à la rivière Saint-Jean, aux incommensurables forces de la nature. » Une mémoire, un témoignage d’une grande valeur que je suis heureuse d’avoir lu. Merci aux éditions Dépaysage pour ce travail éditorial.

Je vous invite d’ailleurs à soutenir cette petite maison d’édition avec la souscription en cours pour leur prochaine publication. Il s’agit d’une biographie sur Laura Ingalls Wilder. Oui l’héroïne de la série TV que nous avons tous regardée il y a quelques années (et qui ne doit pas parler aux plus jeunes) ! Comme souvent la série est adaptée d’un livre.

Note : 4 sur 5.

Avant-propos :
« Le souvenir que j’en garde est celui d’une voix. Mathieu disait la chanson de sa vie, en retrait, dans la pénombre d’un recoin de la pièce principale de la maison, près du poêle, dans sa berçante. Il disait, récitait, racontait, tel un bruit de fond auquel personne ne prêtait vraiment attention mais que chacun entendait en sachant de quoi il s’agissait, la musique sourde et profonde d’une voix qui voyage.
Mathieu était déjà très vieux en 1970, il avait plus de quatre-vingts ans, disait-on, sans trop savoir précisément. C’est parce que le missionnaire l’avait baptisé plusieurs années après sa naissance. Son âge alors fut établi dans l’à-peu-près d’un autre monde où chiffrer n’était pas le premier sujet des hommes. Il est né vers 1885, dans l’arrière-pays de Piastie-Baie ; Mathieu n’en dit pas plus. »

Avant-propos :
« La force de la société innue à cette époque et en ces espaces, au temps révolu de Mathieu, tenait à sa souplesse, à sa flexibilité, ainsi qu’à l’autonomie de tous et chacun de ses membres. Les observateurs n’ont jamais su saisir ni rapporter correctement ce haut niveau d’intelligence collective qui permettait à la collectivité de réussir solidairement en s’appuyant sur la force d’adaptation de chacun. Cette question est très moderne. Car la force de l’individu qui s’accorde à la force du groupe résume tout le problème des sociétés actuelles qui valorisent les droits de la personne sans pour autant réussir à maintenir le sens de la communauté. »

« Dans cette histoire que je vais raconter, il est encore question de la chasse et de la vie dans le bois. Nous prenions toujours le même chemin pour monter dans le bois : la rivière Saint-Jean. Cette histoire parle de l’année où nous avons chassé dans la région du lac Atikunakᵘ. »

« Il s’est trouvé des gens pour dire que les Indiens ne chassaient pas assez dans le bois et qu’ils passaient tout leur temps à dormir dans les tentes. Les marchands et les missionnaires disaient cela, je les ai entendus maintes fois. Je crois qu’ils se trompaient et qu’ils ne disaient pas la vérité. »

« Les femmes aussi travaillaient beaucoup. Elles tendaient des collets pour attraper des lièvres, elles pêchaient le poisson, chassaient les porcs-épics, s’occupaient des enfants et des vieux, faisaient la nourriture, prenaient grand soin du feu et de la réserve de bois de chauffage. Elles faisaient bien d’autres choses encore. Comme nous, elles n’arrêtaient jamais de travailler. »

« Quelques jours plus tard, nous quittions North West River pour revenir dans le bois. Là, c’étaient les caribous qui nous intéressaient le plus. La chasse au caribou nous éloignait du campement familial, nous, les hommes, pendant quatre semaines. En notre absence, les femmes ne souffraient pas de la faim. Elles chassaient, comme je l’ai déjà dit. Elles abattaient des bouleaux. Vous savez que cela attire les lièvres. Alors, là où elles avaient coupé les bouleaux, elles faisaient plusieurs collets. Elles vérifiaient les filets sur le lac. »

« C’était important d’avoir de la viande. Les Anciens se nourrissaient avec de la viande. Nous aussi, nous mangions seulement de la viande et de la graisse. On était habitué. La farine, le sel, le sucre et la graisse du magasin, le chasseur essayait toujours de s’en passer. Nous en gardions le moins possible. On calculait toujours ce qu’on prenait en essayant d’en consommer très peu. Les seules choses dont le chasseur ne pouvait pas se passer pour lui-même, c’étaient le thé et le tabac. Nous aimions boire du thé et fumer. »

« Je pense qu’il fallait du courage pour faire ce que nous faisions. J’ai connu des familles qui revenaient à Mingan complètement découragées parce qu’elles ne trouvaient pas de caribou. Sans caribou, il faut manger son pain et ensuite il faut retourner chercher des provisions au village. Mais pour avoir des provisions, il fallait tuer des animaux à fourrure. Pour tuer des animaux à fourrure, il fallait d’abord tuer des caribous. C’était le caribou le plus important. Sans le caribou, personne n’aurait eu la force de travailler comme on le faisait. Le caribou donne de la force, du courage. Il est difficile à trouver. Mais il faut le trouver. Les familles se décourageaient faute de trouver le caribou. »

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