L’heure des femmes / Adèle Bréau

15h, c’est l’heure des femmes, quand elles ont fini leurs tâches ménagères, que les enfants sont à l’école ou font la sieste, le moment où elles repassent tout en écoutant la radio. 15h, c’est l’heure de l’émission de Menie Grégoire sur RTL. Et elles ne manqueraient pour rien au monde ce rendez-vous quotidien. On est en 1967, mai 68 n’est pas encore passé par là. La condition des femmes est loin de ce que l’on connaît aujourd’hui, même s’il y a encore et toujours des combats à mener.

Mireille a enchaîné les grossesses. Elle a 6 enfants, de 11 ans au nouveau-né. Elle n’en peut plus. Elle aimerait que cela s’arrête. Mais tous les soirs son mari se soulage sans son avis. A ce rythme, elle va mourir. La contraception n’est pas au goût du jour, ni la question du plaisir féminin ou de l’éducation sexuelle. Des sujets que Menie aborde dans ses émissions et qui font parfois bondir certains esprits. Mais le succès de Menie prouve bien que ce qu’elle fait est utile. Elle a du caractère et ne se laisse pas faire par cette société patriarcale.

En parallèle de l’histoire de Menie et de ses émissions de radio salvatrices pour les femmes, il y a plusieurs histoires de femmes « ordinaires » qui illustrent son propos. 50 ans plus tard, Esther écrit un livre sur Menie Grégoire et se plonge dans ses archives. Son regard éclaire les avancés et les régressions de la condition féminine. A noter que Menie est la grand-mère d’Adèle Bréau.

C’est un livre très romanesque, avec de beaux portraits de femmes et qui apporte une réflexion intéressante. Si je n’ai pas accroché à l’écriture au début, je me suis attachée par la suite aux personnages et je n’ai pu lâcher le roman avant la fin. Une lecture parfaite pour cet été !

Il est lauréat du Prix Maison de la Presse 2023.

Note : 3.5 sur 5.

Incipit : Cholet, 1932 – Marie, qu’est-ce que tu fais dehors ? Viens ! Nous allons bientôt partir.


– Menie, maman ! Je vous l’ai déjà répété cent fois. Moi, c’est Menie.

– Quelle idée. On ne change pas son nom de baptême. Surtout quand on porte celui de la Sainte Vierge. Et celui de sa mère. – Justement… – Pardon ? – Rien, maman. Mais vous le savez, Menie veut dire Marie en vendéen. Et nous sommes des Chouans, n’est-ce pas ? – Nous sommes surtout des enfants de Dieu. Il faudrait que ton père et tes frères cessent de te mettre ces idées dans la tête. Certes, les Chouans étaient de valeureux combattants, mais ils étaient avant tout des hommes, Marie. Des hommes qui ont pris les armes. Rien qui mérite que tu prennes exemple sur eux. – Détrompez-vous, maman. J’ai justement lu récemment que beaucoup de femmes avaient également combattu. Et notamment Mlle du Rocher du Quengo, qu’on appelait « Capitaine Victor ». C’est incroyable, non ? »


« – Le standard.
– Quoi, le standard ?
– Il a explosé. Depuis votre intervention, ça n’arrête pas. Autant vous dire que les filles de l’accueil sont débordées. Mais c’est quelque chose.
– Les gens se plaignent ?
– Certains. Mais pas tous. C’est même une très faible partie des appels. Non, plein d’auditeurs, et surtout d’auditrices, tiennent à vous remercier d’avoir répondu à cette dame – celle dont vous avez lu la lettre. Sans parler des autres, qui souhaitent raconter leur propre histoire, vous demander conseil, savoir ce qu’elles doivent faire. Vous êtes visiblement la seule à pouvoir leur répondre. Sans compter le courrier. Regardez !
Philippe lui indique un sac de courrier bien remplie. Menie a l’habitude. Au journal, c’était pareil. Les gens s’ouvrent à elle, lui racontent leurs grands drames et leurs petits soucis. Tout le monde a besoin de ça. D’une oreille, sans jugement. De quelqu’un qui puisse tout entendre, qui puisse leur répondre qu’aucun vice, aucune douleur, aucune tragédie n’est solitaire. Quelqu’un qui explique aux femmes leurs corps, aux jeunes filles les réalités du couple, aux hommes les besoins de leurs épouses. On ne parle pas de ces choses-là, non. Ni chez les riches ni chez les pauvres. On se tait depuis si longtemps parce que c’est ainsi qu’on faisait autrefois, parce qu’on n’avait pas le choix et qu’il fallait bien vivre plutôt que de s’appesantir sur le chagrin de la disparition d’un frère, d’un père ou d’un fils. Parce qu’il fallait rester fort, forte, et ne pas se regarder le nombril. Mais il n’y aura plus de guerre. Aujourd’hui, on a le droit de s’écouter et d’écouter les autres.
Philippe frétille d’enthousiasme. Il a allumé un de ses gros cigares. L’air satisfait, il froisse quelques enveloppes. Il semble avoir pour Menie de grandes ambitions.
– Je pense sérieusement à une émission pour vous toute seule, Menie. L’équivalent de voter courrier des lecteurs mais à la radio, en direct. Vous imaginez ? Les auditeurs pourraient appeler, pour donner leur avis sur les lettres que vous auriez sélectionnées. Ça ressemblerait à une conversation. Ce serait très ludique, non ? Et surtout totalement inédit. Il faut trouver un titre, quelque chose de percutant. On a le temps d’y penser. Non, le plus important, c’est l’horaire. Que diriez-vous du matin ? Ou du soir, lorsqu’on peut s’adonner aux confidences ? C’est bien, ça. Le soir. On n’a pas grand-chose sur ce créneau-là.
– Non, pas le soir.
Elle pense déjà qu’une émission pour elle toute seule, qui n’y connaît rien, et que personne ne connaît, c’est une folie. Mais cette histoire d’horaire, non. Ça ne va pas.
– Et pourquoi donc ? s’étonne-t-il, guère convaincu.
– Parce que le soir, les maris et les enfants sont là. L’après-midi, c’est mieux. Les femmes sont seules chez elles. Elles en ont fini avec les tâches matinales, le déjeuner de leur époux. Les petits dorment. C’est leur seule pause. Et puis, elles seront sûres de ne pas être écoutées ou reconnues par leurs bonshommes qui seront au travail.
Philippe sourit, admiratif.
– On peut dire que vous connaissez votre sujet, Menie. Va pour l’après-midi, l’heure des femmes ! J’imagine que c’est un oui ?
– Pas du t…
– Parfait ! On va faire les affiches, une promotion de tous les diables. Personne ne vous connaît. Il faut vous construire un personnage. Pas trop dame patronnesse, ni trop bourgeoise. Une dame de confiance.
– Mais, je veux rester moi-même ! »

5 commentaires sur « L’heure des femmes / Adèle Bréau »

  1. « Mais il n’y aura plus de guerre. Aujourd’hui, on a le droit de s’écouter et d’écouter les autres. »   j’aimerais savoir à quelle page et ce passage svp !!

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